
Des paniers comme on n’en fait plus
A 79 ans, Eugène Desbranches est l’un des très rares détenteurs subsistants d’un savoir oublié. Vannier amateur, il préfère la mancienne au plus répandu osier.
D’accord, son parcours professionnel d’ancien monteur en charpente métallique des établissements Brisard et Waltefaugle, à Dampierre sur Salon, l’avait plutôt accoutumé aux réalisations en grand format.
Mais c’est dans un art infiniment plus petit qu’Eugène Desbranches, 79 ans, et chanitois de toujours, a acquis un savoir-faire ancestral auprès de son père. Il excelle en effet dans la fabrication de paniers en « mancienne » ou encore « manceigne » dans le patois local, cette viorne poussant dans les buissons et les friches des pelouses sèches, sur des terrains caillouteux.
« Autrefois, les personnes âgées en faisaient des corbeilles ou des paniers pour s’occuper », se souvient le spécialiste, seul survivant aujourd’hui de cet art séculaire à Champlitte. Des paniers, le bien nommé Eugène Desbranches en a toujours tressés, même si cette activité a pris de l’ampleur depuis qu’il est en retraite.
Héritier d’un savoir-faire ancestral auparavant transmis de génération en génération, il en produit une douzaine par an, « pour les amis et la famille uniquement », précise-t-il. Pour ce faire, il ne compte pas ses heures, travaillant à soin rythme, « un peu le matin, et un peu l’après-midi ».
Fabriquer un panier en mancienne, demande beaucoup de travail de préparation. Il faut d’abord trouver la matière première, en cueillir les verges, avec grand soin de les choisir bien grandes, et sans nœud si possible. Ce sont ensuite les outils spécifiques, qui entrent en action. Le rabot fait maison afin de lisser cette viorne, le « fendou » ou fendoir, outil ancien et artisanal en bois destiné à fendre les baguettes en trois ou quatre lanières. La serpette intervient également, pour les racler et enlever l’écorce, ce qui permettra de confectionner des paniers bien blancs.
La charpente est à base de cornouiller. Quant à l’anse, Eugène Desbranches utilise une roue de vélo pour la cintrer. Le génie rural à l’œuvre, en quelque sorte…
Il reste que le panier matériellement achevé, un autre facteur entre en ligne de compte : le temps. Une fois fabriqué, un bon panier doit être mis à sécher, longtemps, longtemps…
On serait tenté de penser qu’il ne s’agit là que d’un banal travail de l’osier. Mais notre bientôt octogénaire est catégorique sur ce point : « C’est différent, car la mancienne se travaille fraiche, juste après la cueillette », affirme-t-il, « elle ne doit pas sécher, sinon elle ne sert plus que pour allumer le feu ! ».
Le secret ? « Elle doit rester souple ». Avec un certain nombre de contraintes. « L’osier est une plante d’eau, et l’eau participe à chaque étape de son travail, car on l’humidifie sans arrêt ». La mancienne, elle doit donc impérativement être travaillée « dans son jus ».
Exigeante plante, que cette tige de petite section, dont la hauteur peut atteindre jusqu’à 2,5 mètres. Produites par l’arbuste un arbuste à feuilles caduques, duveteux, et mesurant 6 mètres au maximum, que l’on baptise également « Viorne Lantana », les plus grandes sont les plus recherchées. Car on trouve de plus en plus rarement cette viorne fleurissant en blanc et arborant des baies rouges.
« A cause du déboisement, je fais parfois des kilomètres, pour en trouver », admet notre passionné. Il en connaît cependant sur le territoire de Saint-Maurice-sur-Vingeanne, près de la route de Montigny à Orain, à l’ancienne carrière d’Orain, ou encore sur la Pâturie, à Champlitte, sans oublier les environs de Frettes. »
Des gisements devenus rares, mais encore moins que ne l’est à présent leur exploitation. Il est bien loin, en effet, le temps où les « drupes », les fruits de ce singulier végétal, servaient à confectionner l’encre bleue-noire des écoliers…
Quant à Eugène Desbranches, son objectif est clair : « Je cherche à transmettre mon savoir-faire », clame-t-il sans détour. Très rares sont, en effet, les personnes à le maîtriser, jusque dans un secteur élargi. Une « personne d’un certain âge » possède, paraît-il, la technique à Orain. Une autre, plus jeune, serait en train d’en apprendre les rudiments à Sacquenay… C’est au fond assez peu pour une vraie garantie de pérennité. Mais qui sait ? Peut-être qu’au bout de cet appel, notre vannier d’autrefois verra-t-il se tresser de nouvelles vocations ?