L’épopée des chanitois et des bourguignons au mexique, tient de la saga, et de la success story, bien que les épreuves n’aient pas été épargnées aux différentes générations de ces émigrants.
1831, les guerres napoléoniennes sont finies. Six années de gelées ont mis la vigne et la contrée à bout. Et l’exode vers le Mexique s’en va semer, bien loin, l’amour du terroir, le patois, la recette du pain « comme en France » et les toitures bourguignonnes.
En 1832 un ancien officier de l’armée napoléonienne originaire d’Autrey-lès-Gray, Stéphane Guénot, disciple du socialiste Charles Fourier, acheta des terres en friche ( « 12 lieues carrées » ) à Jicaltepec (qui signifie Terre d’argile) près de l’embouchure du Rio Nautla où il venait de s’installer, dans l’Etat de Vera Cruz et fonda la Compagnie Franco-Mexicaine avec des capitaux venus de Dijon et de Champlitte.
Les émigrés vers le Mexique furent réunis dans le salon des papiers du château de Champlitte. Ce papier évoque les délices de la vie sous les tropiques. Les Sauvages de la mer Pacifique, encore appelé Les Voyages du capitaine Cook ou Paysages indiens est un papier peint panoramique dessiné par Jean-Gabriel Charvet et édité par la société Joseph Dufour et Cie de Mâcon en 1804.
Ce papier peint représente en 20 lés une suite de scènes exotiques, parfois arrangées, représentant les voyages de James Cook, Louis Antoine de Bougainville et Jean-François de La Pérouse dans les îles du Pacifique au XVIIIe siècle.
Un manuel décrit lé par lé le contenu de ce papier peint. Un exemplaire de ce manuel est conservé à la médiathèque de Mâcon. L’auteur de ce manuel, technique et historique, n’est pas indiqué : il est tantôt attribué à Joseph Dufour, tantôt à Jean-Gabriel Charvet.
On retrouve parfois les différentes scènes montées avec colonnes et corniches autour de chaque scène. Chaque lé peut mesurer jusqu’à 3,20 mètres de haut et 54 cm de large, soit une largeur totale de 10 mètres. Le ciel occupe un grand espace en partie haute, permettant ainsi une découpe du papier peint pour l’adapter aux différentes hauteurs des lieux de pose.
Ce papier peint est installé dans le château de Champlitte, dans le salon d’hiver. Il peut se visiter sur demande, être vu lors des expositions temporaires ou à l’occasion de certaines animations.
C’est après un rêve tropical, que les bourguignons et les francs-comtois, sont partis pour le Mexique.
Entre 1831 et 1861, Bourguignons et Chanitois (de Franche-Comté) émigrèrent. Des familles entières de viticulteurs et paysans fuyant la pauvreté due à la médiocrité des récoltes après des années de gelées mémorables ainsi que le phylloxéra, arrivé plus tard, qui envahissait alors les vignes. Des maçons, charpentiers et tuiliers… Un premier convoi de 80 personnes arriva en septembre 1833, un autre de 124 le rejoignit au printemps 1835. La traversée durait 4 mois, 4 mois de mer haute pour des gens qui ne connaissaient que le réconfort de la terre et des collines. 4 mois visités par le choléra, pour le premier convoi… 4 mois à se demander si la décision n’était pas qu’un chant des sirènes….
Les chanitois et les bourguignons partirent en bateau avec leurs baluchons et les affaires qu’ils purent emmener. Beaucoup furent malades, il y eut des morts. Arrivés au Mexique, rien n’était prêt pour les attendre. Là encore, il y a eu des morts.
Rien, à l’arrivée, n’était prévu pour eux… C’était leur survie qui était en jeu. Ils avaient faim, ne connaissaient pas les plantes locales ni la réaction de la terre, pas plus que celle des cieux. Les moustiques voulaient leur peau et leur sang. Ils savaient qu’ils avaient apporté tous leurs espoirs avec eux et ne pouvaient faillir, ne pouvaient se permettre de mourir d’avoir trop espéré et pas assez lutté. Et d’erreur en erreur, de morts stupides en naissances prometteuses, de ventres creux en ventres presque contents, ils eurent la joie de voir leur colonie prendre son essor à partir de 1837 dans des effluves vanillés, car c’est sur la culture de la vanille qu’ils concentrèrent leurs efforts. La colonie comptait environ 40 familles. On ouvrit des routes, 3 lieues vers Nautla et 15 lieues vers Tlapacoyan. Environ dix ans après l’arrivée des deux premiers convois, 30 nouveaux colons arrivèrent et un comptoir commercial fut créé. On ajouta la culture du tabac et le commerce du sel à celui de la vanille, et jusqu’en 1861 la colonie française de Jicaltepec pouvait chanter en français lors des veillées et remercier Dieu pour sa prospérité. Les relations avec les Mexicains étaient bonnes et paisibles. L’emploi des patois de Franche-Comté et Bourgogne est très ancré, ainsi que la continuation des traditions. Combien de légendes locales furent-elles donc contées aux enfants lors des veillées sous un ciel si lointain et abritant des sons si différents que ceux que ces gens qui ne voulaient pas périr avaient salué d’un adieu bien lourd ?
Les émigrés rencontrèrent de grandes difficultés. Ils se mirent à construire leurs maisons et se lancèrent dans la culture de la vanille.
On se demandera pourquoi la production du vin n’a pas été le premier choix. Des vignes européennes avaient été introduites dès 1593 et s’étaient bien adaptées. Mais l’Espagne ayant interdit la production de vin au Mexique pour protéger la production locale, beaucoup de vignes avaient été arrachées, sauf celles des missionnaires catholiques qui les gardaient pour leur usage. L’indépendance du Mexique en 1821 avait mis fin à l’interdiction mais le pays était dans le marasme complet et l’industrie chaotique. Une douzaine de cépages français furent introduits à la fin du XIXè siècle mais les troubles sociaux dans le pays ne permirent pas l’extension des plantations de vignes. Il faudra attendre 1940 pour qu’une vinification moderne n’émerge et se développe.
Et puis les vents changèrent. Les bons vents tombèrent et firent place à la fureur imprévisible de l’épreuve. Le fleuve se gonfla de colère et sortit de son lit dans une crue mémorable, anéantissant dix ans de travail et d’économie. L’année suivante c’est la peste noire qui déferla sur la communauté, emportant 300 vies. C’en était trop. En 1874 les premiers colons nés sur cette terre de promesses qui se retournait contre eux de façon si injuste décidèrent de l’abandonner.
Les vents eurent pitié. C’était pour vous tester, expliquèrent-ils… et ils envoyèrent le sauveur, Rafael Martinez De La Torre, un avocat mexicain qui acheta des terres plus loin vers Nautla, et groupa les malheureux Français des deux côtés des rives de la rivière : le rio Bobos. La vie était belle à nouveau, l’espoir envoyait ses parfums de vanille et les enfants riaient. Des maisons aux tuiles semblables à celles de Bourgogne apparurent çà et là et au sel, tabac et vanille s’ajoutèrent la production bananière et l’élevage du bétail. Il y avait maintenant deux colonies, une qui conserva le nom initial de Jicaltepec, appartenant à des actionnaires dont la plupart n’étaient pas sur place, vraie communauté française non assujettie à une quelconque autorité mexicaine, administrée par les colons eux-mêmes et qui finit par disparaître parce que les jeunes la quittaient pour la seconde colonie sur l’autre rive du fleuve qui célébra son sauveur en devenant la colonie San Rafael dont les terres étaient plus riche et offrit bien vite une vie plus distrayante.
Pae décret, du 24 aout 1884, Manuel Gonzalès, président mexicain régularisa la situation des colons propriétaires, car ils avaient acquis leurs terres de bonne foi.
Parmi ces Mexicains n’ayant jamais quitté le Mexique, 130 noms français seraient encore en usage. Ils se marient entre eux, et leurs traits n’ont pas acquis les caractéristiques mexicaines. Les femmes passent l’usage du français aux générations suivantes, et le français est enseigné avec l’espagnol à l’école. C’est ainsi qu’un Mexicain arriva un jour de 1956 à Champlitte, pour marcher dans les traces de son grand-père. Et cet homme avait non seulement un nom bien français, Paul Capitaine, mais parle couramment le patois chanitois…. Là où meurent les traditions meurent aussi les légendes, et on a précieusement tout gardé en vie …
A San Rafael, bien des habitudes françaises perdurent, comme faire le fromage, le pain et le vin. En 1986, la ville s’est jumelée avec celle de Champlitte. Depuis que le Mexique a, en 2004, autorisé la double nationalité, beaucoup de ces familles descendantes ont repris la nationalité française. Et la France… reste le pays d’origine, celui qui a semé les légendes, coutumes, courages et traits physiques. Aujourd’hui, un descendant des colons français est devenu le roi du citron vert. Entre deux avions pour New York ou Paris, Carlos Couturier aime flâner dans les allées de citronniers qui quadrillent sa propriété de 32 000 hectares dans l’État de Veracruz. » J’ai gardé l’amour du terroir, transmis par mes aïeux français « , lâche cet hyperactif de 49 ans. A la tête de Citricola Couturier Hermanos, premier producteur mexicain d’agrumes, il a vu décoller son chiffre d’affaires l’an dernier grâce à l’envolée des cours de l’orange et du citron vert. Il en produit plus de 100 000 tonnes par an sur les terres héritées de son arrière-grand-père, un Haut-Savoyard arrivé au Mexique en 1893. Carlos Couturier reste très attaché à Champlitte comme il l’a dit lors du colloque du jumelage Haute-Saone-Mexique à Vesoul pour les 30 ans du jumelage.