Dans ma chambre à la cité universitaire, j’avais affiché deux cartes au 1 :25 000 ème que l’on appelait abusivement cartes d’état-major, ces dernières, étaient au 1/ 80 000ème. Il s’agissait bien évidement de cartes IGN (Institut Géographique National). J’ai toujours aimé la cartographie, nous devions être également cartographe.
Je rêvais devant ces cartes, en regardant les forêts, les bois, les friches, les cours d’eau et lieu-dit de cette géognosie.
J’ai collectionné les cartes, je me suis passionné également pour la matrice et la cadastre. Je pense qu’un travail sur les cartes géographiques et géologiques est porteur d’une certaine poésie. Pour être cartographe, il faut avoir une bonne vision, être soigneux, et avoir un certain goût artistique, compétences que j’admire.
Les cartes avec leurs couleurs chatoyantes sont intéressantes, elles plaisent à l’œil, surtout les cartes géologiques. Il y a un travail très intéressant à réaliser sur la qualité des sols, que nous pourrions qualifier de pré-agronomique, il s’agirait d’amender les sols selon leurs qualités par l’apport d’éléments naturels utilisés comme intrants.
Le rêve devant une carte est une invitation à la promenade, un outil pour randonneurs avérés. J’ai étudié les cartes allemandes de la région utilisées par la Wehrmacht, elles ont aspect moins moins attrayants. Ce n’était pas leur objectif me direz-vous, elles avaient objectif militaire avant tout, là il s’agissait de cartes d’État-major.
Voici un écrit que je partage avec vous, chers lecteurs :« L’Institut Géographique National a été brutalement créée le 1er Juillet 1940 pour succéder au Service Géographique de l’Armée (SGA), lui-même créée en 1887, après l’une des plus sévères défaite militaire que la France ait connue au cours de son histoire.
Il s’agissait, en tout premier lieu, d’échapper au contrôle des autorités allemandes d’occupation qui allaient intervenir.
C’est ainsi que le SGA a été brusquement « civilisé », le jour même de la parution du décret portant sa suppression, en transférant l’ensemble de ses personnels et matériels à l’IGN.
L’ENSG a été créée quelques mois plus tard, par décret du 08 avril 1941, pour assurer la formation des différents personnels techniques civils (ingénieurs, techniciens supérieurs et techniciens) destinés à l’IGN.
Ainsi les disciplines de bases des sciences géographiques que sont la Géodésie, la Photogrammétrie, la Télédétection, la Topographie et la Cartographie sont enseignées à l’ENSG dans les différents cycles de formation initiale.
Outre ses formations, fortement marquées à l’origine par l’emprunte des besoins militaires en cartes topographiques, l’ENSG a étendu sa mission en formant de nombreux élèves étrangers, notamment ceux des pays africains francophones ayant accédé à l’indépendance, ainsi que des géographes militaires (officiers et sous-officiers) présentés par leur organisme d’appartenance, et des étudiants à travers des modules adaptés à leurs cursus universitaires.
Pour mieux comprendre la longue tradition dont l’IGN et l’ENSG sont en quelque sorte les héritiers, il faut rappeler que la réalisation de la première carte topographique couvrant la totalité de la France fût décidée par Louis XV qui chargea Cassini de Thury d’engager les travaux correspondants. Cette carte, dite « Carte de Cassini » fut réalisée à l’échelle de 1 ligne pour cent toises (soit environ 1/86 4000e) en gravure sur cuivre de 1756 à 1815.
La carte suivante dite « carte de l’État-Major » au 1/80 000e, initiée par Napoléon, marqua une étape importante en adoptant de nouvelles conventions, notamment pour l’expression du relief à l’aide des hachures, et en améliorant considérablement la carte de Cassini.
Elle fut produite de 1818 à 1878.
Ainsi, durant 122 ans, les cartes de Cassini et les cartes « d’État-Major » furent réalisées à l’aide du même procédé de la gravure sur cuivre (appelée aussi « taille douce ») qui exigeait une grande finesse d’exécution et une grande dextérité (la carte était gravée à l’envers) mais ne permettait qu’une édition monochrome, la plaque de cuivre gravée constituant la plaque d’impression.
L’achèvement de la couverture à 1/80 000e correspond sensiblement au développement de la photographie qui permit alors de s’affranchir du dessin sur le support d’impression en réalisant le tracé sur un support intermédiaire (papier armé d’abord, plastique ensuite) reproductible par procédé photomécanique.
Ainsi, la rédaction cartographique a pu se faire par planches séparées, indispensable pour une impression en couleurs.
Dans les années 1950, la mission de base de l’IGN était encore la production de la carte topographique au 1/25 000e (connue encore aujourd’hui sous l’appellation abusive de « carte d’État- Major » par référence à la carte militaire au 1/80 000e).
Cette carte au 1/25 000e (plus de 2000 coupures pour couvrir la totalité du territoire métropolitain) était toujours dessinée à la main en 1950 et nécessitait de ce fait, un goût et des aptitudes particulières. C’est pourquoi, un cours préparatoire au concours de recrutement des dessinateurs cartographes était alors organisé pour permettre aux futurs candidats d’être confrontés aux exigences du métier et d’être renseignés sur les qualités requises.
Le profil du candidat idéal était le suivant :
– avoir la chance de posséder un excellente acuité visuelle, pour apprécier le 1/10e de millimètre à l’œil nu correspond à la précision graphique exigée ;
– en outre, le futur dessinateur devait percevoir le relief en vision stéréoscopique et ne pas être atteint de daltonisme ;
– avoir le bonheur d’être doté d’une grande habileté manuelle, comparable à celle des graveurs d’antan.
En effet, le maniement d’outils spécifiques comme le tire-ligne double, triple, pour tracer des traits parallèles courbes (les routes sinueuses par exemple) demandait des dispositions naturelles que l’ont pouvait développer grâce à la technique, mais qu’on ne pouvait pas créer ex nihilo.
Au final, on peut dire que le dessinateur cartographe idéal a été celui qui était capable d’allier la rigueur géométrique et le sens artistique.
À la fin des années 50, une nouvelle technique de rédaction est apparue, nommée « le tracé sur couche » qui était l’aboutissement de recherches en vue d’obtenir une qualité d’exécution aussi parfaite que celle de la gravure sur métal.
L’idée venait du procédé dit « de la glace blanchie » inventé au siècle précédent et qui consistait à étaler sur une glace une solution aqueuse, sur laquelle était reporté le fond provisoire à rédiger.
La couche était alors finement entamée à l’aide de pointes fixées sur une monture pour obtenir une image en négatif.
Mais la fragilité, le poids, l’encombrement et aussi l’absence d’instrument permettant les tracés de lignes doubles, constituaient un sérieux handicap qui ne permit pas à ce procédé d’être développé.
Il a donc fallu attendre les nouveaux produits issus de la chimie des plastiques, pour que le procédé du tracé sur couche puisse prendre son essor industriel et devenir la technique universelle de rédaction cartographique jusqu’à l’arrivée de la grande mutation technologique liée à l’informatique dans les années 90.
La couche à tracer est constituée d’un support plastique transparent, stable et dure, recouvert d’une mince pellicule, elle aussi plastique, tendre et translucide, sur laquelle est reportée l’image du fond provisoire (minute ou maquette) à rédiger suivant les conventions adoptées.
C’est cette mince pellicule qui est entamée par l‘outil traceur (inspirée de ceux des graveurs).
Pour obtenir une image conventionnelle en négatif (comme dans le cas de la glace blanchie) directement reproductible par contact photographique.
Le tracé doit être exécuté sur une table lumineuse, pour laisser passer la lumière dans les parties dégagées et contrôler son travail.
Les instruments utilisés étaient alors de trois types :
– des pointes fines montées sur manches ou sur trépieds ;
– des couteaux simples, doubles ou triples de largeurs variables ;
– des anneaux composés de deux pieds fixes et d’un troisième pied pivotant recevant les différents types de couteaux. Ces anneaux pouvaient recevoir une loupe en leur centre.
La technique du traçage sur couche s’est avérée être la meilleure et a supplanté toutes les autres techniques de dessin des traits.
La production des cartes à grande échelle a permis d’éditer des cartes à plus petites échelles – il faut rappeler ici que plus l’échelle est petite, plus la portion d’espace représenté est grande.
Ainsi au 1/25 000e les deux traits d’une route distants de 1 mm sur la carte, soit 25 m sur le terrain. À l’échelle du 1/1 000 0000e, ce même millimètre sur la carte représente 1 km sur le terrain.
Cette notion d’échelle est primordiale : en fonction de la variation de celle-ci, la réalité de la représentation du terrain sera modifiée pour être adaptée « au plus juste » dans cet ensemble d’informations dont il faut rendre compte de manière cohérente…
Certains détails seront décalés, d’autres simplifiés, ou schématisés, d’autre encore regroupés ou supprimés. Cette opération délicate de ramener l’image à ses traits essentiels, s’appelle la « Généralisation ».
Une bonne généralisation doit s’efforcer en premier lieu de limiter les altérations de positions provoquées par l’adaptation des tracés à l’échelle du document final.
Si à grande échelle le « jeu » consistait à donner le maximum de détails compatibles avec la surface papier et la lisibilité du document, la « généralisation » conduit inévitablement à éliminer l’information secondaire au profit de l’information indispensable à la compréhension du sujet.
Les altérations d’une carte ne sont pas uniquement dues à la généralisation – elles proviennent aussi du choix d’une projection, c’est-à-dire du choix du système mathématique qui permet de passer de la sphère terrestre à la surface plane de la carte.
Cette translation engendre des déformations inévitables, d’autant plus sensibles qu’on représente une grande surface de l’image terrestre ». :
Claude Vuillecot,
Septembre 2010